Difficultés de trésorerie Ils essaient de passer le cap
Alors que la mise en route du plan de soutien est tout sauf fluide, les agriculteurs s’emploient à ajuster ce qui peut encore l’être sur leur exploitation.
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Le 4 octobre, le premier ministre annonçait un nouveau plan de soutien à destination de toutes les filières : fonds de garantie des prêts bancaires, nouveaux dégrèvements de taxes, reports de cotisations…
Un mois plus tard, les agriculteurs n’en voient toujours pas la couleur. Les formulaires MSA ne sont pas tous prêts. Les banques attendent les aides de l’État. Les agriculteurs attendent les banques et croulent sous la paperasse pour tenter de grappiller quelques aides. « En parcourant la liste des mesures, nous avons compris que rien n’était applicable pour nous. Nous avons seulement pu demander la prise en charge partielle de nos cotisations MSA », raconte Jackie Chiret, éleveur dans l’Aube.
Dans un communiqué du 28 octobre, date de sortie de la circulaire d’application, la FNSEA constate que ce texte « rend le dispositif de garantie complexe, lent et sélectif ». En réponse, le ministère de l’Agriculture affirme que « l’agriculteur n’aura aucune démarche spécifique à effectuer à sa demande de prêt. C’est l’établissement bancaire qui se chargera de demander la garantie. » Une fois l’accord de la banque obtenu, l’agriculteur aura juste à « formaliser sa demande d’aide auprès de la DDT », précise le ministère.
Relations tendues
En attendant, les relations entre agriculteurs et leur banque se tendent. « Comme si nous n’avions pas eu assez de problèmes cette année ! Le tracteur, 10 000 heures au compteur, est tombé en panne. La banque n’a pas voulu prêter la somme. Et quand bien même, il y aurait eu trop d’intérêts à payer. Le comble, c’est qu’elle exige un plan prévisionnel avant de se prononcer. Il faut passer chez le comptable et encore payer. »
Et l’ATR (1) d’octobre destiné à pallier le retard dans le versement des aides Pac 2016 ? « Nous l’attendons. » Pour Marc (qui souhaite rester anonyme), éleveur en Mayenne, cette attente de paiement, reporté autour du 8 novembre, est insupportable. « Il me manque en trésorerie 60 000 € en lait et 20 000 € en céréales. Et les 32 000 € d’aides Pac ne viennent pas. » En plan de redressement depuis 2011, il a obtenu du tribunal une année blanche. L’échéance de 45 000 € est reportée à la fin du plan, dans dix ans. « Je comptais sur l’ATR le 17 octobre. Elle est reportée sans explication. J’ai des fournisseurs à payer, la taxe foncière, pour laquelle je risque de prendre une pénalité de 10 %, etc. »
Charges d’amortissement révisées
Cyril Lamberton, 43 ans, éleveur laitier dans la Manche, n’a pas non plus touché l’ATR qui doit lui permettre d’attendre 36 000 € d’aides Pac. Lui aussi se base sur cette entrée d’argent pour faire son prévisionnel. En plan de redressement, il a une échéance de 42 000 € qui arrive en février. « Heureusement, j’ai obtenu un report de celle de 2015. Mais cette incertitude m’inquiète. On est toujours dans le flou alors que nous, agriculteurs, devons respecter des délais bien précis, sous peine de sanction. »
Cyril a aussi adapté la conduite de son exploitation. Il réalise de moins en moins d’ensilage et travaille beaucoup en herbager. « J’ai réimplanté de la betterave fourragère et 10 ha de prairies temporaires à la place du colza et de la culture de maïs ensilage », dont il a réduit la sole. Il fait aussi davantage appel à un entrepreneur pour les travaux des cultures. Mais avec un prix du lait AOC à seulement 310 €/1 000 l (218 € en quota B), il ne sait plus sur quel levier agir.
En Saône-et-Loire, ce sont les céréaliers les plus impactés, constate Sylvain Bernizet, du CER France. « Le plan de Le Foll ne va pas leur servir à grand-chose. Beaucoup ont déjà passé 2016 en négatif et le moindre sou qui tombe est immédiatement prélevé. » Les conseillers préparent des prévisionnels de trésorerie pour faire pression sur les banques et obtenir un maximum de prêts : reprise des emprunts en cours et étude de ré-étalement, avec un report d’échéances de 12 mois (pour qu’il y ait une récolte entre deux). « Il y a de gros besoins de restructurations bancaires, confirme-t-il. Il faut ramener quelque 60 000 euros sur les exploitations, supprimer les emprunts en 2017 et étaler les dettes sur neuf ans. »
Pour lui, les marges de manœuvre sont à trouver du côté des charges de mécanisation. C’est ce qu’a fait Dominique Philippe, 49 ans, céréalier en Saône-et-Loire sur 140 ha. « J’ai déjà vendu un tracteur de 200 ch pour en racheter un de 130 ch d’occasion. Entre 2015 et 2016, suite aux reventes de matériel pour optimiser mon parc et faire face à la crise, la charge d’amortissement rapportée à l’hectare a baissé de 17 %. Je peux encore faire des économies sur ce poste sans trop me démunir, ni faire appel à une entreprise de travaux agricoles », indique-t-il.
Dans la Nièvre, Thomas (lui aussi préfère rester anonyme) a franchi le pas. « Pour la première fois, j’ai délégué tout le semis des céréales à mon voisin, équipé pour le semis direct. »
Nouveaux choix d’assolements
Dominique Philippe, lui, a choisi de jouer sur les intrants. « Cette année, avant les céréales à paille, j’ai fait des impasses en termes de fertilisation P et K mais, pour l’azote, je ne peux pas réduire les apports au risque d’affecter le rendement ou la qualité du blé. » En 2017, il prévoit d’intégrer à son assolement (maïs, blé, orge, colza) 18 ha de soja, une culture économe en intrants. « Cette année, la trésorerie a pris un coup. » Avec des rendements en blé de 55 q/ha, au lieu des 80 à 90 q/ha habituels, et 65 q/ha en orge, du fait des conditions climatiques désastreuses du printemps et des prix en berne, il évalue son manque à gagner à 50 000 €. « Heureusement, j’avais mis de l’argent de côté après la très bonne campagne de 2012-2013 et, surtout, ma compagne travaille à l’extérieur. » Ce qui leur a permis de ne pas solliciter un prêt supplémentaire. Pour la prochaine campagne, il garde espoir car « les colzas sont beaux et les semis de céréales se sont bien déroulés. Reste à voir si les prix vont augmenter. »
Dans la Nièvre, les rendements de Thomas sont catastrophiques, avec 47 q/ha en orge, contre 82 q/ha en 2015, 47 q/ha en triticale, contre 79 q/ha, et 40-41 q/ha en blé, contre 80 q/ha. « L’an dernier j’ai stocké le blé car le prix était trop bas pour du meunier. Cette année, j’ai de la qualité fourragère ! » Il a fait de nouveaux choix d’assolement, en introduisant le lin oléagineux à la place du colza. « J’ai trouvé des semences de blé moins chères sur internet, et semé de la semence de ferme. » Et il apporte du compost uniquement sur la ligne de semis, grâce au semis direct. « J’ai ainsi économisé 50 % du compost acheté en 2016. C’est autant de côté pour 2017 », se félicite-t-il.
Si les institutions n’ont pas toujours été au rendez-vous, la solidarité a joué. « Quand nos parcelles ont été inondées, nous avions besoin de fourrages en urgence. Du côté de la Seine-et-Marne, des voisins ont eu l’autorisation de la DDT(M) pour faucher leurs surfaces déclarées en jachère à la Pac, explique Jackie Chiret. Ils nous ont aidés sans perdre leurs primes. Mais tous les départements n’ont pas suivi. »
(1) Apport de trésorerie remboursable.
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